Au delà de la critique du film sur son scénario global, l’ambivalence d’un concept religieux qui me met mal à l’aise, je n’en demeure pas moins très intéressé quand à la forme que ce film a pris.
Le regard porté se place à un niveau particulier, l’œil du réalisateur à travers la caméra renvois vers un quelque chose d’à la fois morcelé et quelque chose qui embrasse, qui étreint un tout. C’est assez fantastique l’énergie qui se dégage de ce mouvement, une respiration de l’œil et de la main. J’ai l’impression de retrouver là une adéquation réussie entre le travail du chef-opérateur, du cadreur et du monteur.
Dans cette micro-échelle du particulier (voir extrait), on est dans le « je me souviens », on est dans la tête de l’enfant du dernier plan, voyage à rebours, elliptique, qui suit la pensée, les images-mots, on est dans un flux continu aquatique via le Steadycam, qui sera repris, répété comme les recadrages successifs sur la mère d’un plan à l’autre mais aussi déplacé dans le temps, saute temporelle, insert, comme le mouvement dans l’arbre en fleur, ivre de sensations.
« Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermais si vite que je n’avais pas le temps de me dire : « je m’endors » Et, une demi-heure après, la pensée qu’il était temps de chercher le sommeil m’éveillait; je voulais poser le volume que je croyais avoir encore dans les mains et souffler ma lumière; je n’avais pas cessé en dormant de faire des réflexions sur ce que je venais de lire, mais ces réflexions avaient pris un tour un peu particulier; il me semblait que j’étais moi-même ce dont parlait l’ouvrage : une église, un quatuor, la rivalité de François 1er et de Charles Quint. Cette croyance survivait pendant quelques secondes à mon réveil ; elle ne choquait pas ma raison mais pesait comme des écailles sur mes yeux et les empêchait de se rendre compte que le bougeoir n’était plus allumé. Puis elle commençait à me devenir inintelligible, comme après la métempsycose les pensées d’une existence antérieure ; le sujet du livre se détachait de moi, j’étais libre de m’y appliquer ou non ; aussitôt je recouvrais la vue et j’étais bien étonné de trouver autour de moi une obscurité, douce et reposante à mes yeux, mais peut-être plus encore pour mon esprit, à qui elle apparaissait comme une chose sans cause, incompréhensible, comme une chose vraiment obscure. Je me demandais quelle heure il pouvait être ; j’entendais le sifflement des trains qui, plus ou moins éloigné, comme le chant d’un oiseau dans une forêt, relevant les distances, me décrivait l’étendue de la campagne déserte où le voyageur se hâte vers la station prochaine ; et le petit chemin qu’il suit va être gravé dans son souvenir par l’excitation qu’il doit à des lieux nouveaux, à des actes inaccoutumés, à la causerie récente et aux adieux sous la lampe étrangère qui le suivent encore dans le silence de la nuit, à la douceur prochaine du retour. »
« A la recherche du temps perdu » – Marcel Proust