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Songe d’une nuit d’avril

By 8 avril 2009No Comments

« Quand il était seul, José Arcadio Buendia se consolait en rêvant à une succession de chambre à l’infini.
Il rêvait qu’il se levait de son lit, ouvrait la porte et passait dans une autre chambre identique à la première, avec le même lit en fer forgé, le même fauteuil de rotin et le même petit tableau avec la Vierge des Remèdes sur le mur du fond. De cette chambre, il passait à une autre exactement semblable, à l’infini. Il aimait aller ainsi de chambre en chambre comme dans une galerie de glace parallèles, jusqu’à ce que Prudencio Aguilar vînt lui toucher l’épaule. Il s’en retournait alors de chambre en chambre, s’éveillant au fur et à mesure qu’il revenait en arriere et parcourait le chemin inverse, et trouvait prudencio Aguilar dans la chambre de la réalité. Mais une nuit, deux semaines après qu’on l’eût emmené jusque dans son lit, Prudencio Aguilar lui toucha l’épaule dans une chambre intermédiaire et il y demeura à jamais, croyant que c’était là sa chambre réelle. Le lendemain matin, Ursula lui portait son petit déjeuner quand elle vit un homme s’approcher par le couloir. Il était de petit taille et massif, vêtu d’un costume de drap noir, portant un chapeau également de couleur noire, énorme, enfoncé jusqu’à ses yeux moroses. « Mon Dieu, pensa Ursula. J’aurais juré que c’étais Melquiades. » C’était Cataure, le frère de Visitacion, qui avait quitté la maison fuyant la peste de l’insomnie, et dont on n’avait plus jamais eu de nouvelles. Visitacion lui demanda pourquoi il était revenu et il lui répondit dans son langage plein de solennité :
– Je suis venu pour l’enterrement du roi.
Ils pénétrèrent alors dans la chambre de José Arcadio Buendia, le secouèrent de toutes leurs forces, lui crièrent à l’oreille, lui mire une glace devant les narines, mais ne parvinrent pas à le réveiller. Peu après, tandis que le menuisier prenait ses mesures pour le cercueil, ils virent par la fenêtre tomber une petite pluie de minuscules fleurs jaunes. Elles tombèrent toute la nuit sur le village en silencieuse averse, couvrirent les toits, s’amoncelèrent au bas des portes et suffoquèrent les bêtes dormant à la belle étoile. Il tomba tant de fleur du ciel qu’au matin les rues étaient tapissées d’une épaisse couverture, et on dut les dégager avec pelles et rateaux pour que l’enterrement pût passer. »

« Cent ans de solitude » – Gabriel Garcia Marquez

« Let Forerever Be » – Chemical Brothers – Michel Gondry

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