Dans la cadre d’une rencontre organisée par le 104, j’ai pu discuter quelques heures avec deux réalisatrices : Claire Burger et Maria Amachoukeli, en cours de montage d’un court métrage au titre provisoire » c’est gratuit pour le fille ».
Elles se sont rencontrées à la Femis où l’une et l’autre y faisaient leurs études. Claire Burger dans la section montage, Maria Amachoukeli en tant que scénariste.
Aujourd’hui elles écrivent à 4 mains, un travail d’écriture assez particulier, le plus ouvert possible.
Elles laissent 3 temps d’écritures qui jouent chacun sur un pied d’égalité.
– le temps du scénario : travail assez ouvert qu’elles font à deux, par aller retour. Je pense là au travail des frères Dardenne qu’il expliquent dans leur livre « Au dos de nos images », quelque chose comme une trame, une partition de jazz.
– Ensuite vient le temps de l’écriture lors du tournage, travaillant par choix avec des acteurs non professionnel, des adolescents dans le cas présent.
Elles proposent des situations, où les acteurs doivent s’exprimer. L’écrit s’affine au cours du jeu et se modifie grâce à la discussion entre les acteurs et les réalisateurs.
Cela leur permet de jouer sur deux fronts, de faire se rencontrer la frontière entre le « documentaire » et la « fiction ».
A ce moment la prise de risque s’accentue, la direction d’acteur ne peut pas s’établir de la même manière que pour un acteur professionnel.
Les frères Dardenne ou bien Abdelatif Kechich, se sont penchés sur les mêmes procédés. Pour autant, leur personnage principal est toujours une évidence, soit c’est un acteur qui porte le rôle, soit c’est un personne qui se dépasse, « plus grand que nature ».
– Enfin l’écriture propre au montage. Elles ne s’interdisent rien,elles se laissent une grande liberté, plusieurs choix d’histoires sont possibles, elles sont prêtes à faire disparaitre un personnage s’il le faut. Par contre on arrive à la fin du processus créatif, il va donc falloir faire des choix, la multiplicité des possibles c’est faite exponentielle, puisque les réécritures ont été constantes.
On a affaire là à une œuvre ouverte, avec ses périls. Comment tenir le cap? Il faut un capitaine et nous avons deux marins au long cours, il faut une histoire et elle ont ont plus de dix, il leur faut un personnage qui émerge et elles en ont au moins 4.
Vient l’étape du choix donc, elle ne sont pas à leurs premières danses, puisque leur premier essai c’est transformé avec succès : « Forbach » à été primé dans de multiple festivals.
Au cours de cette rencontre, elles nous montrent une scène montée de deux manières différentes, et nous font part de leurs interrogations de départ sur la scène en elle même puis sur l’écriture globale. J’ai été impressionné par leur ouverture d’esprit, leur aptitude à entendre des regards d’inconnus, a écouter des propositions, à laisser la possibilité d’émettre des opinions divergentes concernant leur projet. C’est un phénomène plutôt rare dans la création, j’ai l’impression d’assister à la transposition au cinéma de principes apparus au début des années soixante dans le théâtre et la danse, avec des gens comme Peter Brook, qui ont fait participer le public dans le processus de création.
Je pense aussi à la création multimédia avec des œuvres interactives, où la place du public est prépondérante, voir à ce sujet l’interview d’étienne Mineur.
J’assiste là à une volonté diffuse de faire des films autrement, de bousculer une hiérarchie bien en place,
J’assiste aussi à quelque chose de profondément généreux, la position du réalisateur-auteur devient plus flou,
Reste à savoir comment on se recentre lorsqu’on a autant ouvert, quelle part de sentiment profond, sourd et personnel peut-on conserver?
Il ne reste plus qu’à le voir pour le croire.